Auteur de l'article
Nathalie HAVEZ
Distribution, chorégraphie et interprétation | Wendy Cornu
Musique et scénographie | Lucien Gaudion
"Dans un flux et reflux permanent, tels des mers imaginaires, la résonance sonore et le geste fondateur se rencontrent et se font écho dans une interdépendance consentie, entre synchronicité et analogie.
Offrir des espaces temporels de rencontres kinesthésiques et acoustiques génère ici des phénomènes de densité spatiale et d’inertie physique. L’influx électrique éprouvé par le corps en mouvement invite à percevoir les convergences entre la machine, l’Humain et la matière."
Les mers imaginaires se produiront prochainement les 13 et 14 octobre 2020 au Gmem, friche belle de mai à Marseille.
Avant de partager ma dernière entrevue avec les artistes Wendy CORNU et Lucien Gaudion, pour entrer en matière, j’ai eu l’honneur d’assister à plusieurs étapes successives et aux filages de leur création en trois études.
Cette expérience a manifestement généré l’impression d’une grande densité, suivie d’une inspiration profonde. La rencontre avec cette création singulière, vivante et sensorielle a clairement fait plonger mon attention dans de puissants ressentis, aussi délicats à qualifier soient-ils. Je pourrai d’ailleurs éviter toute qualification sans pour autant taire cette impression d’espaces, de textures acoustiques et d’épaisseurs multiples, de polarités lumineuses, de voyage interstellaire, de persistance sensorielle, d’hypnose consciente, ou de grâce faisant se rencontrer la magie de l’imperceptible et les forces du réel en présence et en mouvement.
Aussi, consécutivement à l’interview, je souhaite partager avec vous sans prudence, ni retenue, mes interprétations subjectives de ce triptyque aussi sensoriel qu’évocateur.
Wendy, Lucien, comment s'est faite la rencontre entre vous ?
Wendy : On s'est rencontré au carrefour artistique BOUGE, organisé par le KLAP maison pour la danse et le GMEM, centre national de composition musicale à Marseille. Quatre compositeurs, une équipe technique, deux chorégraphes et deux groupes de douze danseurs pré professionnels, étaient invités à expérimenter pendant dix jours la rencontre entre des formes sonores et dansées. Le hasard par tirage au sort a voulu que nous travaillons dans la même équipe !
On ne se connaissait pas et la vie nous a fait travailler ensemble. On a tout de suite senti que nos recherches et univers respectifs matchaient ensembles. Pourtant on se parlait peu. Quand je proposais des choses, Lucien disait "ok", et quand Lucien proposait quelque chose, je disais "ok."
Qu'est-ce qui vous a décidé à travailler sur un nouveau projet commun ?
Lucien : En ce qui me concerne j'avais déjà eu des confirmations et garanties artistiques sur les possibles d'un travail en commun. Cela passe déjà par des choses toutes simples : quand tu mets un haut-parleur dans les mains d'un danseur et qu'il sait tout de suite quoi en faire, ça parle.
Wendy : Quand Lucien propose de tendre un fil au milieu du plateau avec un haut-parleur, j'ai trouvé que c'était une belle scénographie, ça m'a interpellé. Même si au premier abord, ça gênait les danseurs… (rires)
Lucien : Voilà ! Je suis sur des créneaux d'expérimentation et Wendy aussi j'ai l'impression.
Wendy : A la fin de BOUGE, on s'est dit qu'on pourrait faire des choses ensemble. Une fois rentrée je n’ai pas lâché l'idée. Il m'a fallu un an et demi pour rappeler Lucien. J'avais déjà un projet expérimental avec le GMEM, j'ai proposé à Lucien de faire ce projet avec moi. Nous étions en décembre 2017, Lucien a dit oui.
Lucien : Je te remercie Wendy, je n'ai pas la mémoire des dates.
Quel sens donnez-vous au mot "collaboration" et comment travaillez-vous ensemble ?
Lucien : Je n'aime pas trop le mot collaboration, car il me rappelle les heures sombres de l'histoire. J'envisage plus l'idée d'une équipe, avec des enjeux d'observations.
Wendy : J'ai déjà coécrit avec une chorégraphe. Je trouvais intéressant de travailler avec quelqu'un qui n'ait pas du tout le même médium que le mien. Dans cette intention de travailler avec quelqu'un d'une manière complétement différente, j'ai tout de suite compris que Lucien avait des expérimentations à mettre en jeu. Des expérimentations générant des contraintes spatiales et physiques qui allaient devenir pour moi un support, un appui de départ. Sur d'autres collaborations j'avais plutôt tendance à prendre la direction des choses. Là, ça me faisait du bien de laisser Lucien mettre en jeu sur le plateau quelque chose de très précis, avec une ambiance sonore très particulière. Enfin, voir comment je pouvais ensuite résonner avec ça et avancer à partir de ces intentions. Je me suis mise au service des propositions sans pour autant les laisser diriger la création. Il a plus s'agit d'une interaction permanente.
Vous parleriez plus de co-élaboration alors ?
Lucien : Oui !
Wendy : C'est ça.
Comment avez-vous abordé votre processus de création lors de vos premières rencontres ?
Lucien : Je vis les choses quand elles se passent. Ce qui me plaît c'est d'être enfermé dans une salle, avec tout un tas de trucs et deux cerveaux qui synchronisent des choses ensemble. Je n’ai pas envie d'analyser plus que ça l'enjeu des choses. Si on est là, c'est que ça a un sens. C'est quelque chose qui s'est fait naturellement et il faut que ça continue à l'être, avec ce plaisir de chercher ensemble.
Wendy : Oui, on aime chercher tous les deux. D'ailleurs, on n'aime pas tant écrire ou composer. On aime triturer.
Lucien : Oui, à tel point que s’il n'y avait pas de monstration à la fin, ça ne me poserait pas de problème.
Wendy : Au départ le projet c'était quatre semaines. Expérimenter une étude une semaine et montrer à des gens cette étude. Cette idée d'expérimenter ainsi le travail intuitif plutôt que réfléchi, c'est ce que m'a motivé aussi dans ce projet. Le percevoir plus comme un laboratoire, sans avoir à mettre en jeu une question de sens ou autre chose. Il s'est trouvé qu'une création a émergée, sans volonté de ma part ou celle de Lucien. On s'est finalement retrouvés dans un système de production, tout en prenant soin de garder cette façon d'aborder la création.
Quelle place accordez-vous au hasard dans votre espace de recherche et d'expérimentation ?
Wendy : Comme je travaille beaucoup à l'intuitif, je pense que le hasard se mêle à cette chose-là. C'est l'intuition qui m'amène à prendre des directions, qui parfois sont justes, ou comportent un élément juste, que je vais développer pendant une semaine. Il m'arrive aussi de revenir sur une ancienne résidence de laquelle j'extraie une chose à garder et je laisse de côté le reste. Et ça pour moi ce n’est pas de l'intellectualisation, ni de l'anticipation. Puisqu'on est dans l'expérimentation, le hasard et l'intuitif sont tout le temp présents.
Lucien : Je trouve que le terme hasard est assez ambivalent. Parce que le hasard, c'est une chose en laquelle on peut croire ou pas. Partant de ce postulat, je pourrais très bien te dire que j'élimine tout le hasard. Tout ce que je recherche et ce que je fais est déjà là.
Wendy : En attente, quelque part.
Lucien : Complètement. Déjà là, dans l'air. Il suffit d'assembler le bon puzzle, ou générer la bonne situation pour que les choses s'emboîtent. Cela dit moi aussi j'aime bien parler d'intuition comme Wendy. Je pense que c'est quelque chose d'important dans la création, car c'est laisser venir les choses à soi, pour ensuite les agencer.
Comment s'est déroulé votre première résidence de création au GMEM, qu'avez-vous expérimenté là-bas ?
Lucien : On a mesuré le chemin qu'il nous restait à faire !
Wendy : La première résidence que l'on a faite c'était dans ton atelier Lucien. On a utilisé les néons, mais à l'époque le corps était en hyper synchronicité avec le déclenchement des lumières. Or, à aujourd'hui, nous sommes carrément à l'opposé.
Lucien : Oui. Contextuellement, on travaille comme ça sur plusieurs études. Je m'intéresse beaucoup au son dans l'espace et la relation que peut entretenir le son avec la métaphore de l'image et de la lumière. Ce qui nous a intéressé avec Wendy, c'est de créer des systèmes d'interrelations entre le corps, le son et la lumière.
Il y a une étude sur laquelle on a suspendu des haut-parleurs, Wendy vient les activer en les manipulant dans l'espace, avec tournoiement et girations. Une seconde où la lumière de néons est activée par des décharges électromagnétiques dont les allumages sont rendus audibles, comme autant de stimulus envoyés à Wendy. Au départ, on a beaucoup été dans un phénomène de réaction au stimulus, pour peu à peu s’en détacher complètement. Pour moi, il s'agit en quelque sorte de sérendipité. On a aligné les étoiles pour créer une espèce de constellation et on s'est servi d'un moment de giration de lumières pour sculpter le corps dans sa propre temporalité.
Wendy : En s'associant avec Lucien, on est parti d'une recherche de base pour l'amener ailleurs. Au départ, les néons étaient placés dans l'espace en frontale. Et sur le début de résidence au GMEM, Lucien a pris le parti de les mettre en cercle autour de moi. Là on s'est aperçu que ça générait visuellement un effet sur le corps. On a vraiment transposé de l'existant vers un nouvel espace.
Pourquoi les mers sont-elles imaginaires ? Comment est né ce titre ?
Wendy : Je me suis rendu compte il y a peu de temps, que le titre original de la performance que nous avions faite à BOUGE s'appelait IMAGERY SEAS. Dans l'idée d'une continuité à notre première rencontre, on avait envie de garder ce titre. Il s'agissait en fait de "mers imagées" en traduction. En le passant en français, mon erreur l'a transformé. Encore une fois, une chose avait été amenée ailleurs, en lien avec son point d'origine.
Lucien : Ce titre nous parle beaucoup car ce que l'on donne à voir et à vivre n'est pas ancré dans le réel. Il y a vraiment une notion de liquide, de mer et de magie aussi qui se crée autour de ça.
Wendy : Souviens toi, on avait parlé de changer le titre à un moment donné. On avait parlé du flux, du reflux, du temps. Et finalement ces termes-là ont plutôt nourrit le projet dans ce que l'on allait développer. J'aime trouver des titres qui parlent du projet sans le définir. En laissant le champ des possibles, sans obligation à rendre visible ce que le titre évoquerait.
Lucien : Dans ce côté imaginaire pour reprendre le terme, il y a clairement pour moi l'aspect halluciné, assez proche des utopies technos d'ailleurs. Il y a quelque chose de très LSD là-dedans. L'idée de mers imaginaires déploient cette idée là aussi. Pour moi en tout cas. Chacun y verra ce qu'il voudra.
Qu'a engendré l'organisation sanitaire sur votre création ?
Wendy : On devait finaliser notre création entre Mars et Mai avec notre première le 14 Mai de cette année… Tout ça a été envoyé à la mer justement. Et étonnement, cette création est la plus longue que j'ai montée. On a commencé à en parler en Décembre 2017, elle va sortir en octobre 2020.
Finalement, dans ce décalage temporel, j'avoue qu'au mois de Mars j'étais encore loin de comprendre tout ce qui était en jeu. J’avais du mal à tout identifier : le lien entre les études. J'ai l'impression que de manière finalement bien heureuse, ce décalage m'a permis de prendre du recul et d'avoir plein d'informations sur la compréhension de ce qui était en train de se faire. Je suis donc arrivée sur notre dernière résidence, en Août, avec beaucoup plus de clairvoyance. Une chose difficile à vivre au départ, celle de ne pas pouvoir aboutir une création, s'est révélée intérieurement comme quelque chose de bénéfique : prendre le temps.
Lucien : Tu as raison. Cela pourrait être aussi une création qui ne finit jamais. Comme elle s’est construite en études, on pourrait continuer comme ça indéfiniment ! Ce confinement nous a effectivement permis de prendre du recul. Maintenant il va falloir sauter. Et ce sera le 13 et 14 octobre... 2020 ? C'est ça ?
Une dernière question qui vient de l'espace : Si vous aviez la possibilité de vous envoyer à vous même un message en 2030, qu'écririez-vous ?
Wendy : ... Lucien : ... (soupirs et rires)
Lucien : "C'est trop tard !"
Wendy : 2030 ? Qu'est-ce que j'enverrai à Wendy dans 10 ans ?
Lucien : De toute façon on sera tous mort dans 10 ans...
Wendy : Ah mais non ne dis pas ça... Non pas dans 10 ans ! Moi, j'enverrai plutôt des questions comme : "Alors dans quel cycle de développement es-tu ? Est-ce que les quelques convictions que tu as ont trouvé une réponse, un écho ? »
Lucien : "Accepte tes cheveux blancs ! "
Wendy ; "Accepte-tu de vieillir ?" Oui parce que je trouve ça plutôt cool de vieillir…
Lucien : Ah oui ?
Wendy : Oui moi je préfère 40 à 30, 30 à 20... Ça pourrait être ça la question d’ailleurs : "Est ce que tu préfères toujours 50 à 40 ?" Si c'est ça, c'est génial.
Lucien : Je vous laisse avec ça.
Wendy : Vous pouvez reposer la question ?! (Rires)
"Est ce que tu vas bien ?" voilà mon message.
Etude 1 | La trace : « L’empreinte des mémoires ?
L’hypothétique incarnation du corps dans l’espace et le temps laisse sa trace dans les mémoires.
Décomposées, fragmentées, résiduelles, ou cristallisées dans les traductions subjectives de l’histoire humaine racontée ou écrite, les mémoires individuelles et ancestrales poursuivent leur course depuis la nuit des temps. Qu’en est-il des mémoires oubliées ? Tombent-elles dans l’ombre d’une nuit infinie ?
La trajectoire de la lumière ne crée de l’ombre que lorsqu’elle est obstruée.
Se pourrait-il qu’il existe un espace au-delà des corps et de la matière qui porte la trace indicible de ces mémoires éternelles ?
Etude 2 | Les néons « Le jaillissement des pensées » ?
La pensée est véhiculée par la lumière. Fulgurante, fugace, éphémère comme obsédantes et répétitives, elle constitue la quintessence de l’existence humaine.
La pensée habite le corps et le corps traduit les pensées. Il y est soumis comme il les révèle.
Sur l’espace des mers intérieures et extérieurs à lui-même, qu’il traverse tel un bateau, le corps joue du flux et reflux et du courant permanent des pensées et se meut avec elles.
Etude 3 | Les pendules : « Le temps humain » ?
Le temps est, et il demeure au-delà de l’entendement.
L’humain est, dans un corps dont la finitude est irrévocable.
La fragilité de sa condition l’amène par autodétermination à vouloir agir sur cette aporie.
Sans s’opposer à l’immuable, il joue avec le temps en conscience ou non, en se racontant lui-même, dans un chant singulier et changeant. Il inscrit dans le temps son histoire dans la pluralité de ses trajectoires et circonvolutions.
Textes d’inspirations, reportage photographique et propos interviewés recueillis le 2 Septembre 2020, au KLAP maison pour la danse, en 2019 au GMEM, Marseille et au théâtre de l'Oulles, Avignon par Nathalie HAVEZ.
Voir l'agenda des mers imaginaires
Contacts production : [email protected]
Site web : www.mouvimento.org
Nathalie HAVEZ
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